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C’est la fête pour la Communauté française, mais ce n’est pas la fête pour l’École

Communiqué de presse

Hier, 27 septembre, les membres de la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire [1] – dont Lire et Écrire fait partie – ont tenu une conférence de presse pour faire part de leurs inquiétudes quant à la future mise en œuvre du Pacte d’excellence.

Ce fut aussi l’occasion pour eux de rappeler qu’un autre projet d’école, lancé 20 ans plus tôt, à travers le décret Missions, et qui visait aussi à l’émancipation de tous et promettait de lutter contre les inégalités, n’a pas vraiment, lui non plus, été appliqué.

Introduction

Aujourd’hui, la Fédération Wallonie-Bruxelles fait la fête. Pour nous, associations membres de la plate-forme de lutte contre l’échec scolaire [2], il n’y a pas de raison de faire la fête. La situation politique de la Communauté française est loin de nous tranquilliser. Nous craignons que les acquis du Pacte ne soient détricotés au profit d’idéologies politiques conservatrices.

Et tant qu’à profiter de ce jour de fête, nous commémorons également cette année les 20 ans du Décret mission. Mais une commémoration est rarement un moment de joie intense. En effet, le décret Missions n’a jamais été mis en œuvre. Il a cependant donné des lueurs d’espoir aux enseignants et aux associations progressistes qui luttaient pour une école plus juste. Il nous parlait de pédagogie du projet, de remédiation, de lutte contre l’échec scolaire. Il visait notamment l’émancipation de tous et promettait de lutter contre les inégalités. Il est aujourd’hui une coquille vide. À peine voté, il a été oublié. De temps en temps, certains d’entre nous tentent de rappeler ses objectifs, mais qui s’en souvient ?

Nous craignons que le Pacte pour une École d’excellence ne subisse le même sort. Celui-ci n’a pas encore été mis en œuvre qu’il est remis en question par certains acteurs politiques. On a vu le président du MR remettre le Tronc commun en cause. Or ce dernier est le fondement même du Pacte et l’axe fondamental qui permettra – avec des aides spécifiques aux difficultés d’apprentissages et des pratiques pédagogiques adaptées – de diminuer les inégalités au sein de notre système scolaire. De même, le Décret inscriptions est sur la corde raide. Défi propose tout simplement son abrogation et la Ministre de l’enseignement a récemment proposé au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles de réfléchir à sa « révision ». Nous craignons donc son détricotage. Rappelons que le nouveau partenaire du Cdh, le MR, n’a jamais été un opposant progressiste par rapport aux versions successives du Décret.

Pour un nombre important de familles, l’école n’est plus accessible tant les frais liés à la scolarité sont peu abordables, le Décret inscription se prend une volée de missiles nord-coréens dans la figure et les moyens financiers de la Communauté française nous font craindre que le Pacte ne doive voir le jour qu’avec des emplâtres sur ses jambes de bois.

En ce jour où nous n’avons pas le cœur à la fête, nous voulons lancer un appel à tous les acteurs politiques et aux acteurs du Pacte : il est plus qu’urgent de diminuer les inégalités et la sélection sociale. Le Pacte est loin d’être parfait mais 20 ans après le décret Missions, il redonne de l’espoir à celles et ceux qui, dans l’école et en dehors de celle-ci, luttent contre ces inégalités.

Nous demandons à tous les acteurs politiques qu’ils clarifient le brouhaha qui règne depuis des mois autour de l’École et répondent clairement à la question : Alors, ce Pacte, avec tout ce qui en est ressorti de positif, on y va ? Ou on rejoue le décret Missions, 20 ans après ?

Pas de réduction significative des inégalités sans tronc commun

La littérature et les recherches le montrent : le tronc commun est une condition indispensable pour un enseignement moins reproducteur d’inégalités [3].

C’est la raison pour laquelle cette mesure a été retenue dans le train de réformes dont le Pacte devra accoucher.

Mais c’est aussi la mesure du Pacte qui a probablement fait couler le plus d’encre et a suscité le plus d’émotions chez certains parents et chez des enseignants.

Parce que mettre en œuvre ce tronc commun dans toutes les écoles de la CFWB est un défi politique, pédagogique, organisationnel et culturel de taille :

Un défi et un choix politique qui consiste à opter clairement pour la fonction intégratrice de l’école : à parier sur l’éducabilité de tous et à tourner le dos – en tous cas le temps du tronc commun – à la fonction différenciatrice qui s’appuie sur la théorie des dons et sur une conception essentialiste de l’intelligence et des aptitudes ;

Un défi pédagogique car faire entrer autant les enfants de milieux populaires que les enfants de milieux favorisés dans les apprentissages est possible à condition de tenir compte des rapports aux savoirs des enfants provenant des différents milieux sociaux et donc, de repenser en profondeur la façon dont on enseigne ;

Un défi organisationnel car le temps et l’espace scolaire devront être profondément revisités ;

et

C’est aussi un défi culturel : ça renvoie à « quel type de modèle porte-t-on et partage-t-on sur la place, le rôle de l’école vis à vis de chacun de nos élèves et vis-à-vis de la société en général ? ».

Puisqu’une décision telle que celle-là a été prise, il est indispensable de construire sa légitimité non seulement auprès des acteurs scolaires mais aussi auprès de l’ensemble de la société.

Mettre en œuvre le tronc commun oblige à repenser collectivement ce qu’on apprend et comment on l’apprend. Et donc, nécessite de sortir du cloisonnement qui laissait jusqu’à présent la sphère pédagogique aux mains des réseaux : il faudra se frotter et même se mettre d’accord pour faire « école commune », sans quoi le tronc commun risque fort d’être une coquille vide ou d’être mort-né.

Ce n’était déjà pas gagné avec les réseaux, ce l’est encore moins depuis la crise politique provoquée par Benoit Lutgen : elle ramène au-devant de la scène un parti – le MR – qui semble en profond désaccord avec l’implémentation d’un tronc commun.

Les acteurs de la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire attendent de la part de l’ensemble du monde politique francophone de la cohérence, de la cohésion autour des engagements pris en matière de réduction des inégalités scolaires et seront très attentifs à ce qu’une mesure comme le tronc commun ne soit pas pervertie ou vidée de sa substance.

Note complémentaire

Comme l’indiquait Vincent Dupriez dans son intervention au colloque sur le tronc commun organisé par le CEF en 2015, les débats sur le tronc commun dans beaucoup de pays révèlent une tension majeure entre 2 fonctions de l’école :

  • Une fonction différenciatrice = répond à l’attente de préparer à des rôles différents dans la société et sur le marché du travail. Ce « projet de société-là » s’appuie sur la théorie des dons et sur une conception essentialiste de l’intelligence et des aptitudes. : sur l’idée qu’ayant des capacités différentes, il est logique que les parcours pédagogiques se séparent.
  • Une fonction intégratrice = l’École doit faire partager une culture commune pour préparer à l’appartenance à une collectivité => tous doivent s’y côtoyer.
    Cet autre projet de société s’appuie sur une conception plus universaliste et sur le postulat d’éducabilité de tous.
    Et c’est évidemment un défi d’une complexité redoutable d’être ambitieux pour tous les enfants jusqu’à 15 ou 16 ans mais c’est possible si on outille les éducateurs et les systèmes éducatifs.

Décret inscriptions : on avance ou on recule ?

On entend ces derniers temps une volonté de l’ensemble des formations politiques de revoir plus ou moins drastiquement le décret inscription. Certaines déclarations nous interpellent et nous font craindre un retour à des pratiques discriminantes. Sommes-nous contre toute révision du décret ? Certainement pas. Mais il faut s’entendre sur le sens de cette révision.

La régulation des inscriptions a été mise en place afin de répondre, entre autres, à un véritable défi : diminuer les inégalités dans l’enseignement en FWB. Nous sommes en effet, hélas, champions toutes catégories dans ce domaine. C’est chez nous que les écarts de performance entre les jeunes des classes populaires et ceux des milieux socialement favorisés sont les plus grands de toute l’Europe (la Flandre et la France nous disputant néanmoins le leadership…). Tant en termes de redoublement que de réorientations non souhaitées ou encore de niveaux mesurés lors de tests internationaux comme le célèbre PISA.

Or, des études ont pu démontrer que la ségrégation sociale des établissements et l’inéquité d’un système éducatif vont de pair. D’où l’importance de favoriser la mixité sociale. C’est un des objectifs que dit vouloir atteindre le décret inscriptions. Est-il atteint ? Les données dont on dispose indiquent que si amélioration il y a, elle est de très faible amplitude et certainement insuffisante pour rencontrer l’objectif de mixité annoncé. Ce n’est pas étonnant quand on sait que le décret n’agit que sur un des mécanismes du marché scolaire, lui-même source de ségrégation. Néanmoins, c’est toujours ça de pris ! Mais quel sens aurait sa disparition ? Ça reviendrait à affirmer que le marché scolaire ne serait plus soumis à la moindre forme de régulation. Ce qui serait catastrophique.

La révision du décret ne répondra pas à la problématique récurrente du manque de places à Bruxelles et, bientôt ailleurs. La solution est bien sûr dans la création de nouvelles places. La révision du décret ne résoudra pas non plus le fait qu’une école ne puisse pas satisfaire le nombre de demandes par rapport aux places disponibles.

Car si une école est trop demandée, il faut bien d’une manière ou d’une autre départager les candidats. C’est ce que fait le décret sur base de critères objectifs. Sans doute trop compliqués. Peut-être pas assez judicieux. Mais en tout cas objectifs. Que se passait-il auparavant ? La connaissance du système de certains parents les poussait à réserver des places jusqu’à trois ans à l’avance. Quand ce n’était pas le copinage pur et simple avec certaines directions ou encore la sélection par ces mêmes directeurs sur des critères peu avouables comme, par exemple, la méritocratie. En quoi ce système était-il meilleur ? Certes, les « victimes » n’étaient pas forcément les mêmes car seules les classes les plus favorisées avaient une connaissance du système suffisante pour en sortir à leur avantage.

Maintenant c’est autre chose. Quoi qu’il en soit, il restait toujours des jeunes qui n’avaient pas leur premier choix. Revenir à ce système serait donc, à nos yeux, inacceptable.

Si révision du décret il devait y avoir, elle ne pourrait, selon nous, se faire qu’en regard des objectifs énoncés qui ne seraient pas rencontrés : à savoir celui de mixité sociale.

Pour nous, afin d’avancer sur cet objectif, il ne faut pas supprimer toute régulation mais bien réguler mieux !

L’enseignement réellement gratuit, une urgence pour un enseignement de la réussite pour tous !

Si la gratuité scolaire n’endiguera pas à elle seule les inégalités scolaires, elle constitue un des obstacles majeurs à lever pour s’engager de façon déterminante dans ce sens.

Malgré des engagements répétés à atteindre une réelle gratuite scolaire, actuellement seul l’accès à l’École est gratuit en Fédération Wallonie-Bruxelles comme l’affirme l’article 24 de la Constitution belge. Il est donc plus qu’urgent de se montrer ambitieux en la matière en Fédération Wallonie-Bruxelles en mettant immédiatement en place un processus concret conduisant à la gratuité scolaire. Un « pacte d’excellence » qui renâclerait à se saisir de ce chantier essentiel ne fera que renforcer « l’excellence » pour les mêmes.

Faut-il encore dire et redire que si l’argent seul ne suffit pas à endiguer l’appauvrissement, la pauvreté, la pauvreté durable, penser que cela n’en constitue pas un levier essentiel serait malhonnête. Et lorsque l’argent devient la préoccupation principale de parents dans leur relation à l’École, c’est irresponsable et violent que des décideurs en restent au constat.

Bien trop souvent à l’origine de fortes tensions et de stress, les frais scolaires et périphériques, détournent l’attention des parents, du corps enseignant et des enfants de l’objet principal de l’école : l’école doit se vivre autour de l’accès à la connaissance, la confiance, l’ouverture, la curiosité, le sens du vivre ensemble et de la solidarité. La non-gratuité scolaire pollue cette relation triangulaire « parent/enfant/professionnels de l’école », détourne des objectifs principaux, use toutes les parties, participe à l’échec.

Dans le cadre du Pacte pour un Enseignement d’Excellence, un groupe de travail a spécifiquement débattu de l’enjeu crucial de cette nécessaire gratuité scolaire.

Le 3e avis du groupe central [4] de mars 2017 apporte quelques réponses qui vont dans le bon sens : explorer les couts réels de l’école, évaluer et faire respecter la règlementation actuelle, supprimer les frais facultatifs, et plafonner le prix des voyages et sorties scolaires. La mesure principale du Pacte serait d’atteindre progressivement la gratuité scolaire en commençant par la suppression des dépenses strictement scolaires demandées dans l’enseignement maternel, puis dans l’enseignement primaire et secondaire.

Si l’on peut comprendre la nécessité de progressivité et l’importance d’éliminer tous frais en maternelle, l’ambition affichée est dès le départ très limitée, trop limitée, l’enseignement maternel étant le moins onéreux pour les familles. Outre le fait d’arriver au même résultat dans des délais rapides dans l’enseignement fondamental, il faudrait au minimum que cette

mesure s’applique rapidement dans les enseignements techniques et professionnels qui sont particulièrement coûteux pour les familles (couteaux, tenues de cuisine, outils, chaussures de travail, appareil photo, matériel d’art, etc.).

Si l’opérationnalisation d’une gratuité scolaire totale prendra du temps, il est nécessaire de fixer des délais raisonnables et ambitieux. Il y a trop longtemps que la question est sur la table sans être concrètement à l’agenda.

Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels engageant la Belgique à atteindre la gratuité scolaire, a plus de 40 ans. En 40 ans, les Gouvernements successifs n’ont développé aucun programme dans ce sens… quels échecs successifs sans remédiation aucune ! Il faut donc s’y mettre tout de suite, sans plus aucune tergiversation.

Le Pacte sous l’angle budgétaire

En vitesse de croisière, le Pacte constitue un investissement annuel de plus de 50 millions d’euros lorsque les investissements auront généré les effets escomptés.

Lorsque l’avis 3 a été renégocié suite au « NON sauf si » des organisations syndicales, nous avons obtenu des précisions sur l’échéancier des mesures. Celui-ci prévoit que les investissements précèdent les économies. Citons à titre d’exemples :

  • L’encadrement en maternel
  • L’aide aux directions
  • Le recrutement de conseillers pédagogiques
  • Les moyens pour soutenir le processus RCD tout au long du tronc commun
  • La suppression des plages horaires
  • La réduction des prestations des professeurs de pratique professionnelle
  • L’investissement en formation de cours de carrière notamment par l’augmentation de jours de formation compensée par une « prime formation »

Ainsi en 2022, 2023, au terme de la prochaine législature, l’investissement devrait être de 220 -203 millions par an.

Avant la crise de juin, le Gouvernement s’est accordé sur l’aspect budgétaire du pacte. Depuis la crise et la mise en place du gouvernement wallon dans lequel siège le Cdh et la ministre Greoli, vice-présidente du Gouvernement FWB, nous voulons que la majorité reconstituée confirme cet engagement car la déclaration de politique régionale wallonne s’inscrit dans une trajectoire explicitement différente : La Wallonie s’inscrira dans la lettre et l’esprit de l’accord de coopération de 2013 relatif à la coordination et à l’évaluation des politiques budgétaires des différentes entités belges. À ce titre, une attention particulière sera accordée à l’évolution du solde structurel. Le Gouvernement établira sa trajectoire budgétaire en se fondant sur les recommandations du Conseil Supérieur des Finances.

Le non-respect de la trajectoire budgétaire constituerait une rupture de l’équilibre construit entre les partenaires de l’école au sein du Pacte et menacerait de facto, sa concrétisation.


[1Appel pour une école démocratique, Changements pour l’égalité, la FAPEO, la Fédération francophone des écoles de devoirs, Infor-Jeunes Laeken, la Ligue des droits de l’Enfant, la Ligue des familles, Lire et Écrire, le Mouvement ouvrier chrétien, le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, Tout autre École, la CSC-enseignement, la CGSP-enseignement, le SEL-SETCA.

[2Plateforme que coordonne la Ligue des droits de l’Enfant depuis 14 ans

[3Les résultats des recherches confirment que les pays qui organisent une séparation précoce des élèves sont des pays qui accroissent les différences de performance entre élèves et les inégalités sociales de résultats dans les systèmes éducatifs.
Ce résultat n’est plus contesté aujourd’hui. Il est clair et logique : si l’école commune dure plus longtemps et si l’orientation se fait plus tardivement, elle sera moins dépendante du capital culturel que les élèves ont reçu dans leur famille.

[4Avis no 3 du Groupe central, 7 mars 2017, pp. 305 à 307