Édito

Aurélie Leroy, Lire et Écrire
Communauté française

Il existe une relation étroite entre l’analphabétisme et la pauvreté. La pauvreté joue un rôle dans la production de l’analphabétisme de même que l’analphabétisme accroit les risques de pauvreté ; les causes et conséquences s’imbriquant. De nombreux apprenants en alphabétisation vivent avec des faibles revenus ce qui complique l’accès à un logement décent, à la vie sociale et culturelle, à la santé… Vivre avec de faibles revenus rend aussi difficile le déploiement de ressources et du temps nécessaire pour l’apprentissage adulte ou la requalification professionnelle alors que la maitrise de la lecture et de l’écriture devient de plus en plus nécessaire pour être inclus dans la société et faire valoir ses droits… 

La façon dont la pauvreté est considérée dans notre société n’est pas anodine, elle est le reflet de l’idéologie dominante. Le statut de « pauvre » s’accompagne communément de stéréotypes dévalorisants et de représentations sociales « méritocratiques » qui contribuent à enfermer les individus dans une catégorie unique, à les stigmatiser, altérant leurs rapports avec autrui et la société1. Or, la façon dont la pauvreté sera appréhendée influera directement sur son traitement politique.

Ce numéro du Journal de l’alpha propose de déconstruire cette notion afin de poser des nouveaux jalons de lutte contre la pauvreté. La pauvreté semble à priori une notion évidente et limpide. Néanmoins, il n’en est rien. Elle est tout d’abord un phénomène que les politiques publiques, belges et européennes, tentent de mesurer au travers d’indicateurs chiffrés. Un des articles montre à quel point ces approches statistiques demeurent réductrices c’est-à-dire centrées sur le manque de revenus et la déprivation matérielle. 

Plusieurs contributions proposent de revoir cette définition en vue d’insuffler de nouvelles capacités d’action aux personnes qui y sont confrontées. Céline Giraudeau invite le lecteur à voir le public d’apprenants en alphabétisation, non comme un public « fragile », « en difficulté » mais à envisager au travers des démarches didactiques leurs richesses de vie. Daniel Flinker offre une lecture des liens entre analphabétisme et pauvreté en termes de classes sociales afin de renforcer le pouvoir d’agir des hommes et femmes et de repenser d’autres formes de solidarités.

Sur le terrain, les opérateurs d’alphabétisation militent et coopèrent avec d’autres acteurs de la société civile pour défendre les droits élémentaires et améliorer les conditions de vie des personnes en difficulté de lecture et d’écriture. Diverses contributions témoignent de cette nécessité de s’allier pour agir contre la pauvreté.

Souvent mises de côté dans les instances de débat et dans le champ politique, les personnes en situation de pauvreté peuvent être convaincues qu’elles ont peu à offrir à la société. Toutefois, elles détiennent des savoirs d’expérience sur leur condition et sur le monde environnant. Les pratiques d’éducation populaire et d’éducation permanente, encouragées notamment à Lire et Écrire, sont primordiales pour favoriser leur participation et les reconnaitre comme acteurs à part entière. A Lire et Écrire Namur, le réseau d’anciens apprenants « Les Transform’acteurs » a choisi d’entamer un travail d’expression, de réflexion et d’action en collaboration avec le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté sur une thématique qui les touche particulièrement : le mal-logement. Ce réseau promeut, depuis plus de 20 ans, l’implication des personnes vivant la pauvreté dans un combat pour plus de justice sociale. Christine Mahy, Secrétaire générale, nous livre dans une interview leur approche, leurs avancées ainsi que leur point de vue sur les derniers plans politiques en vigueur.

Pour combattre la pauvreté, il importe de sortir d’une vision à court terme, souvent prêchée par les politiques publiques, et de s’inscrire dans une vision plus structurelle axée sur la lutte contre les inégalités sociales. En visant à améliorer les conditions de vie, l’accès et l’exercice des droits sociaux, culturels et politiques des personnes en difficulté de lecture et d’écriture, l’alphabétisation constitue un moyen essentiel de lutte.


  1. Serge PAUGAM, La disqualification sociale, Essai sur la nouvelle pauvreté, Presses Universitaires de France, 2009.