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Journal de l’alpha 213 :
Prise en compte des personnes analphabètes

Pour quel projet de société ? (2e trimestre 2019)

S’interroger sur comment les politiques publiques, les services publics ou privés, les médias… prennent en compte les personnes analphabètes et illettrées, c’est dresser les contours de la place que notre société accorde aux personnes ne maitrisant pas les compétences de base. Et là, il faut bien constater que c’est la double peine qui s’applique : les inégalités socio­économiques, de genre, d’origine… sont source de la (re)production de l’illettrisme, illettrisme qui a pour conséquence d’entraver l’accès aux ressources collectives auxquelles ces personnes ont droit.

Ce Journal de l’alpha rassemble diverses contributions autour de cette question de la prise en compte : réflexion sur la différence entre inégalités et discriminations, pratiques pour rapprocher les publics dits « éloignés » de l’alphabétisation, voies d’action qui permettent aux personnes analphabètes ou illettrées de défendre leurs droits et d’être reconnues comme citoyens et citoyennes à part entière, ici et maintenant, sans condition préalable quant à la maitrise des compétences de base.

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Sommaire

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Édito : Face à la double peine, des ressources pour l’action

Par Sylvie Pinchart, directrice de Lire et Écrire Communauté française.

Renforcer la prise en compte des personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme est un axe d’action important à Lire et Écrire. La maitrise des savoirs de base nécessaires pour participer à et agir dans une société donnée sont définis par cette société. Aujourd’hui, l’acquisition de ces savoirs est de plus en plus cruciale au regard des évolutions de la société. Que ce soit au travers de la complexification croissante des relations entre les individus et les organisations intermédiaires, les entreprises ou l’État, toute une série d’actes de la vie courante nécessitent un recours accru et parfois exclusif à l’écrit : rechercher un logement, inscrire ses enfants à l’école, postuler à un emploi… Ces actes dits courants ne sont pas anodins, encore moins anecdotiques. Pour les personnes analphabètes comme pour toute autre personne, ce sont des actes par lesquels nous nous réalisons, nous posons des choix et concrétisons des droits… Pour Lire et Écrire, comme pour beaucoup d’autres associations d’Éducation permanente, l’effectivité des droits culturels, économiques, politiques, environnementaux…, soit la capacité réelle, concrète à les exercer, est l’une des conditions de base de la citoyenneté. Cette déclaration de principe s’incarne dans notre ancrage dans l’alphabétisation populaire [1], notre travail de sensibilisation auprès des organisations publiques ou privées, nos analyses et études, nos interpellations politiques [2]

S’interroger sur comment les politiques publiques, les services publics ou privés, les médias… prennent en compte ou pas les personnes analphabètes et illettrées, c’est dresser les contours de la place accordée aux personnes en difficulté de lecture, d’écriture, d’expression orale… dans notre société. Et là, il faut bien constater que c’est la double (ou triple) peine qui semble s’appliquer : les inégalités socio­économiques, de genre, d’origine… sont source de la (re)production de l’illettrisme. Illettrisme qui a pour conséquences de placer les personnes dans une situation socioéconomique, culturelle, politique… des plus défavorables et de leur entraver l’accès aux ressources collectives auxquelles elles ont droit. Attention, elles pourraient s’en servir pour s’en sortir, individuellement ou collectivement ! La question posée il y a juste 10 ans par Catherine Stercq dans son édito [3]Notre société aurait-elle besoin d’une population illettrée ? – reste d’une brulante actualité…

L’indifférence nous semble bien grande face à la persistance de l’analphabétisme qui touche plus d’1/10e de la population. Par la place qui leur est socialement assignée, les personnes en difficulté de lecture et d’écriture font partie de la cohorte grandissante des invisibles, à la croisée de multiples inégalités. Lutter contre les inégalités ou pour la dignité et les droits de tous nécessite, encore davantage aujourd’hui qu’hier de lier et interrelier les acteurs impliqués sur des enjeux communs, tout en accordant l’attention nécessaire aux situations spécifiques. Pour notre association, c’est l’analphabétisme.

Le tableau dressé peut sembler bien sombre… exagéré peut-être pour certains. Le propos, nécessairement critique, n’est cependant pas un constat d’impuissance.

Nous ne sommes le plus souvent pas face à une volonté délibérée des acteurs d’exclure ou de marginaliser les personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme, mais face à un effet collatéral d’autres préoccupations : diminution des couts des services publics, numérisation de services marchands ou non marchands, réorganisation du travail pour répondre à de nouvelles normes managériales…

Ce Journal de l’alpha, fidèle à sa ligne éditoriale, rassemble diverses contributions qui se font le témoin d’actions et de réflexions quant à la prise en compte des personnes en situation d’analphabétisme ou d’illettrisme.

Ainsi, peut-on parler de discrimination à l’encontre des personnes analphabètes ? La question de la pertinence de faire entrer l’analphabétisme et l’illettrisme dans le cadre des législations belges antidiscriminatoires est actuellement en discussion dans notre mouvement. En effet, il pourrait s’agir d’un levier d’action significatif. Dans sa contribution, Duygu Celik alimente le débat en clarifiant la distinction entre inégalités et discriminations.

En alphabétisation populaire, si nous pratiquons la critique sociale à partir de nos terrains d’action, cela ne nous dispense pas de l’autocritique ! Plusieurs contributions ont pour enjeu la prise en compte des personnes analphabètes dans la formation – la formation qualifiante mais aussi l’alphabétisation.

La formation n’est cependant pas la réponse unique à la prise en compte des personnes et de leurs droits. Outre que l’offre de formation est insuffisante en Fédération Wallonie-Bruxelles [4] et que les temps d’apprentissage sont longs, la prise en compte des droits des personnes analphabètes ne peut être conditionnée à la maitrise d’un niveau de compétence ou d’un parcours de formation dit « réussi ». D’autres contributions témoignent de voies d’action qui permettent aux personnes en difficulté avec l’écrit ou la langue orale de défendre leurs droits et d’être reconnues comme citoyens et citoyennes à part entière.


[1Voir : Catherine Stercq et Aurélie Audemar (coord.), Balises pour l’alphabétisation populaire. Comprendre, réfléchir et agir le monde, Lire et Écrire Communauté française, 2017.

[2La prise en compte des personnes analphabètes est l’une des cinq priorités que nous portons à l’intention des majorités qui se formeront à l’issue des élections régionales, fédérales et européennes du 26 mai 2019. Voir : Lire et Écrire, Cahier de revendications de Lire et Écrire en vue des élections du 26 mai 2019, janvier 2019.

[3Catherine Stercq, Des causes de l’illettrisme (édito), in Journal de l’alpha, no 167-168, février-avril 2009.

[4Si tous les adultes en situation d’analphabétisme ou d’illettrisme décidaient de se former, il faudrait y multiplier l’offre de formation par plus de 100.