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Le rachat de la banque bpost par BNP

Un nouveau coup dur pour les clients peu lettrés et peu numérisés ?

Les banques se digitalisent en étant peu soucieuses des besoins des personnes les moins à l’aise avec les outils numériques [1]. La récente migration des services bancaires de la Poste vers l’une des grandes banques du pays s’annonce comme un nouvel épisode douloureux dans la saga de l’exclusion financière.


Par Cécilia Locmant,
chargée de communication et campagne.
Lire et Écrire Communauté française, février 2024.

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Ils/elles avaient reçu l’info par courrier depuis plusieurs mois déjà, pourtant lors du week-end de basculement (les 20 et 21 janvier 2024) et les jours qui ont suivi, un certain nombre d’apprenantes de Lire et Écrire, anciennes clientes de bpost, ont fait les frais de cette opération en vivant en direct les loupés informatiques, les files aux guichets de la poste ou les interminables mises en attente au call center téléphonique de leur nouvelle banque. Comme d’autres clientes sans doute… Il suffit de regarder les témoignages envoyés sur le site de BNP durant cette période pour se rendre compte qu’une série de personnes lettrées ou pas ont rencontré des problèmes identiques.

Bien sûr, au fil des jours, la plupart ont fini par installer leur nouvelle application BNP, ont eu accès à un compte et disposent d’une carte de débit pour l’utiliser. Pourtant si les apprenantes de Lire et Écrire qui ont témoigné de leurs difficultés peuvent utiliser ces différentes fonctionnalités, c’est très souvent grâce au soutien apporté par les équipes de l’association ou de proches qui les accompagnent. Ce sont les formateurs, les agents d’accueil, ou les informaticiens publics de nos centres à Bruxelles et en Wallonie qui ont installé les applications, accompagné les personnes dans les bureaux de poste, téléphoné à BNP pour signaler la non-réception de leur nouvelle carte… ou de leur code.

Alors tout est bien qui finit bien ? Pas si sûr. En analysant les propositions faites aux apprenantes à travers un courrier reçu en octobre dernier et la mise en route du dispositif, on pencherait plutôt pour l’option inverse. Cette transition n’est pas neutre et ne signifie pas pour les personnes peu familiarisées avec ce monde numérique, une avancée sur le chemin de l’inclusion financière [2].

Des packs pas si inclusifs que ça

Dans les courriers envoyés à ses clients il y a quelques mois, la banque distinguait deux types de profils et deux types de tarifs : Pack Easy Go à 2 euros avec des points de contact dans les bureaux de poste pour les personnes qui ont des besoins de base et le Pack Easy Guide à 5,5 euros avec des points de contact sur rendez-vous dans les agences restantes de BNP [3] pour les clients plus « rentables ». Si les deux packs incluent des différences au niveau du nombre et la nature des cartes mises à disposition de la clientèle, chacun offre 6 opérations manuelles gratuites par an. Un troisième pack, 100 % digital et 100 % gratuit le Hello Pack, n’est lui jamais proposé dans ces courriers, mais est pourtant mentionné sur le site de BNP

Pour mieux comprendre cette stratégie, nous avons contacté Anne Fily, de Financité, un organisme pluraliste qui développe la recherche, l’éducation et l’action en matière de finance responsable et solidaire en Belgique : En rachetant la banque bpost dont elle était déjà actionnaire à 50 %, BNP qui est une banque de plus en plus digitale a mis en avant le fait qu’elle allait disposer de centaines de nouveaux points d’accès dans le pays, ce qui, selon elle, allait permettre à des personnes qui ont des besoins simples liés à leur compte courant, leurs moyens de paiement, leur problème de carte etc, d’avoir une solution de proximité. Soit, pourquoi pas ? C’est là qu’ils ont regardé les usages bancaires de la clientèle. Alors je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils ont analysé si les clients étaient numérisés ou pas, mais ce qui est clair c’est qu’ils réservent les agences BNP, qui restent, pour ceux qui ont des activités qui génèrent des commissions, c’est-à-dire, des investissements, des assurances, des crédits hypothécaires, etc. Et que tous les autres, effectivement sont orientés vers les bureaux de poste.

Mis devant le fait accompli, beaucoup de destinataires de ces courriers, surtout les moins à l’aise avec ce monde bancaire et sa terminologie (comment comprendre les mots tels que « frais de compte », « intérêts », « carte de crédit ou de débit ») n’ont pas interrogé plus avant ce que l’offre qui leur était proposée recouvrait ni les autres alternatives possibles dont le courrier ne faisait pas clairement mention.

Aujourd’hui ils se questionnent : pourquoi dois-je payer deux euros, voire cinq euros cinquante par mois ? Pourquoi y a-t-il des tarifs différents ? Est-ce que je vais pouvoir avoir des extraits ? faire des virements ? ou prendre de l’argent liquide ? et sous quelles conditions ?

Des retours que nous avons reçu du terrain, peu d’apprenantes connaissent les conditions précises assorties à ces packs… Ils ne savent pas que ces tarifs mensuels qui leur sont le plus souvent proposés ne seront pas du tout avantageux pour eux, car ces packs n’incluent que ces six opérations manuelles gratuites par an (toute opération supplémentaire sera facturée à 2 euros) et que leur nouvelle banque a décidé de supprimer les appareils de selfbanking installés dans les bureaux de poste, alors qu’ils leur permettaient de faire certaines opérations de base, comme des virements et le retrait de leurs extraits de banque. Anne Fily qui a interrogé la BNP sur cette disparition nous explique : J’ai posé la question à BNP en leur disant justement que le selfbanking était l’une des raisons pour laquelle pas mal de personnes avaient conclu un contrat chez bpost et c’est là que j’ai appris qu’ils avaient décidé de supprimer ces machines. Je leur ai demandé pourquoi puisqu’elles étaient simples à utiliser et permettaient à beaucoup de personnes peu à l’aise avec le digital d’avoir une certaine autonomie, ils m’ont dit qu’ils n’avaient plus de logiciel adapté pour les conserver. Pour Financité, cet argument parait peu compréhensible, car la poste avait installé récemment beaucoup de nouvelles machines selfbanking (environ 400) dotées d’une technologie récente et donc transférable.

La disparition de virements et d’extraits papiers peut paraitre anecdotique, mais pas pour les personnes qui maitrisent peu l’écrit et le numérique pour qui ce type de supports est important pour avoir une vision claire de leurs dépenses et ce à un rythme hebdomadaire voire quotidien. Le retrait d’argent liquide est aussi une pratique qui permet de mieux comptabiliser ce qu’on dépense. Mais là aussi, les choses se compliquent et le nombre d’appareils disponibles est en constante diminution.

Virginie Desmet, une formatrice de Lire et Écrire explique : Quand j’ai accompagné une apprenante dans un bureau de l’agence BNP à Mouscron, l’employée nous a conseillé de nous habituer à utiliser les nouveaux points de retrait neutres qui sont installés un peu partout en Belgique pour remplacer ceux que les agences bancaires ferment peu à peu [4]. Mais ces appareils, s’ils sont faciles à utiliser, ne sont pas assez nombreux et ne permettent ni d’avoir des extraits ni d’effectuer des virements. Lorsque l’on regarde sur le site web de cet organisme pourquoi ces fonctionnalités ne sont plus disponibles, on se voit répondre : Les fonctions « non cash », tels que les virements ou impressions d’extraits bancaire, peuvent être effectuées via de nombreux autres canaux. Ces opérations prennent du temps et si elles étaient opérées via des distributeurs, cela provoquerait d’importantes files d’attente. C’est pour cela que vous ne les retrouvez pas sur nos points CASH Bancontact. Cette réponse ne précise pas quels sont ces nombreux autres canaux. On en déduit qu’il s’agit de canaux digitaux.

Pour Victor Lambert, un apprenant de Lierneux, qui a reçu un lecteur de carte pour effectuer ses opérations sur le net, cette petite boite restera bien rangée au fond de son tiroir, car il n’a pas confiance, il a peur de se tromper, et il n’a d’autre choix que d’aller désormais au guichet et de payer pour faire une série d’opérations de base. Si l’on se réfère aux derniers chiffres publiés dans le rapport de Financité, on apprend que l’accès à l’argent liquide (via les distributeurs de billets) diminue chaque année (−15 % en un an) et que de toute la zone euro, c’est en Belgique que l’on se plaint le plus des difficultés d’accès au cash. Avec l’accord conclu entre le gouvernement fédéral et BATOPIN en mars 2023, le nombre de distributeurs devrait descendre en 2025 à 4 061 appareils répartis sur 2 369 sites. Malgré une baisse du nombre de distributeurs, l’accord promet une meilleure accessibilité tant pour les personnes vivant en zone urbaine, intermédiaire ou rurale. Les parties signataires refusent cependant de dévoiler les objectifs chiffrés qu’elles ont négociés par province (taux de couverture) et par commune. Et c’est aussi une des batailles de Financité qui a récemment saisi le conseil d’État en réclamant plus de transparence de la part du gouvernement. Comme l’explique Anne Fily : C’est un peu la loterie, car selon l’endroit où l’on habite, on est plus ou moins bien servi en distributeurs BATOPIN.

Quelles sont les alternatives possibles ?

Plusieurs alternatives plus inclusives existent mais sont peu connues et peu médiatisées au sein du monde bancaire.

Il y a tout d’abord le service bancaire universel (SBU) qui permet d’exécuter manuellement des virements papier à un cout raisonnable (tarif : au maximum 60 euros par an). Il s’agit d’un paquet de services comprenant au minimum 60 opérations manuelles par an, une carte de débit et la possibilité de retirer mensuellement ses extraits au guichet (si proposés par la banque) ou leur envoi mensuel à la demande du client. Mais les banques n’en font pas la promotion [5]. Anne Fily : Il n’y a pas eu de campagne d’affichage, pas de campagne radio de la part des services bancaires pour informer la population. Il y a eu des flyers, oui. Ils ont estimé que c’était aux relais comme nous d’en faire la promotion alors que ce n’est pas notre rôle. Ce service a fait l’objet d’un accord mais qui prendra fin à l’été. Dans les chiffres publiés par Financité, on constate que ce le SBU ne connait pas un succès phénoménal par rapport aux gens qui continuent de faire des virements papier et qui ont besoin d’extraits papier. Dans les centres de Lire et Écrire, parmi les apprenantes qui ont témoigné de leurs difficultés dans ce récent dossier, peu de personnes ont connaissance de ce service. C’est vrai que lors d’une visite d’une formatrice de Lire et Écrire à un guichet de poste en province de Luxembourg pour accompagner une apprenante en difficulté, elle a vu que l’info était mise à disposition du public de manière écrite…

Selon Financité, toutes les banques n’ont pas besoin d’en faire la promotion car certaines, souvent des banques de taille plus modeste, offrent des services assez similaires… Et d’encourager « la mobilité bancaire » en tant qu’alternative intéressante. Selon leur dernier rapport, lorsque l’on rapporte le nombre d’agences au nombre de clientes, il est préférable pour les personnes qui souhaitent continuer à bénéficier d’un service bancaire de proximité d’être cliente d’une banque de petite ou de moyenne taille (vdk bank, CPH, Crelan et AXA banque, Beobank, ou Argenta). Pour Financité, cette alternative doit être encouragée, car elle permet de disposer de meilleurs services et tarifs et qu’elle n’implique aucune démarche de la part du client. C’est la nouvelle banque vers laquelle le client décide de migrer qui se charge de tout ! En ces temps où les clientes sont souvent obligées de devenir des employées bancaires zélées, c’est une bonne nouvelle. Néanmoins, changer de banque pour beaucoup de personnes en situation d’illettrisme, ne sera pas un pas si facile à franchir…

Il est urgent de faire un moratoire sur la numérisation des banques. Afin, d’une part, qu’il y ait un débat sur la place que les citoyens souhaitent voir occupée par le numérique dans les institutions bancaires. Et, d’autre part, pour que les banques proposent à leurs clients, avant toute accélération de la digitalisation, un contact humain de qualité, via le redéploiement de guichets physiques et de services téléphoniques.


[1Voir à ce sujet l’article d’Iria Galván Castaño sur ce dossier et ses impacts sur le public analphabète : Dématérialisation des services bancaires. Vers une exclusion financière des personnes en difficulté avec l’écrit, La Revue nouvelle, no 3, 2022.

[2L’inclusion financière fait référence à un processus par lequel une personne peut accéder à ou utiliser des services et produits financiers proposés par des prestataires « classiques », adaptés à ses besoins et lui permettant de mener une vie sociale normale dans la société à laquelle elle appartient.

[3Il n’y en aura bientôt pas plus de 200 au niveau de tout le pays, contre plus de 650 bureaux de poste toujours actifs. Voir : Rapport sur l’inclusion financière 2023 – Accessibilité bancaire et crédit, Financité.

[4Le projet BATOPIN, initié par les quatre plus grandes banques du pays en 2019, vise à supprimer les 5 062 distributeurs installés dans leurs agences par 2 240 appareils dits « neutres », répartis sur un moindre nombre de sites.

[5Le service bancaire universel adopté sous forme de charte en juillet 2021 avec pour objectif de plafonner les tarifs des opérations bancaires manuelles pour les personnes « non digitalisées » est peu souscrit : un peu moins de 4 000 comptes ouverts au 31/12/2022 pour les banques qui ont créé un compte spécifique. Ce compte est très peu connu des clientes potentiellement concernées. Voir : Rapport sur l’inclusion financière 2023 – Accessibilité bancaire et crédit, Financité.